Pour être tout à fait honnête avec vous, faire travailler du personnel en insertion professionnelle n’a jamais fait partie de mes objectifs lorsque j’ai rêvé pour la première fois de mon jardin chocolaté. J’avais bien en tête de faire travailler du personnel en situation de handicap en faisant intervenir un ESAT (établissement et service d’aide par le travail), et d’ailleurs je travaille depuis le début avec l’ESAT Jean Moulin. Mais ça c’est une autre aventure que je vous raconterai une prochaine fois 😉 Cependant, je n’avais tout simplement pas pensé au travail en insertion professionnelle !

C’est en arrivant aux Grands Voisins que l’idée a germé dans mon esprit, et notamment lorsque j’ai entendu parler du projet de Conciergerie Solidaire …

Qu’est-ce que la Conciergerie Solidaire ?

La Conciergerie Solidaire, gérée par l’association Aurore, salarie des personnes très éloignées de l’emploi (par exemple après un passage à la rue) grâce au Dispositif Premières Heures (le DPH). Le contrat DPH est un dispositif financé avec le soutien de la Ville de Paris. C’est un contrat d’1 an, pour 16h par semaine maximum, et qui prévoit un accompagnement soutenu pour permettre aux personnes de se reconnecter à la vie active.  A la fin de ce contrat, en général, les salariés poursuivent leur parcours en intégrant des chantiers d’insertion.

Installée aux Grands Voisins, la Conciergerie Solidaire s’occupe de l’accueil, de l’entretien des espaces extérieurs des Grands Voisins, et propose ses services aux structures qui y sont installées. On paie à l’heure, de façon totalement modulable, directement à l’association Aurore.

En quoi les personnes en insertion professionnelle m’aident ?

Dès que j’ai entendu parler de ce projet de Conciergerie Solidaire, mon cerveau a fait tilt ! Cela faisait tellement de sens pour moi ! Il était évident que j’allais faire appel à ses services 🙂

Cela fait maintenant plus de 3 ans que je fais travailler du personnel en insertion professionnelle, de façon plus ou moins soutenue en fonction des saisons. En haute saison (entre octobre et Pâques), 3 personnes se relaient pour renforcer mon équipe tous les matins. On réduit à 1 ou 2 matinées seulement en basse saison. Et en juillet / août, toute l’activité s’arrête …

Je leur confie différentes missions qui ne nécessitent pas de qualification particulière :

  • nous aider, mes apprenti(e)s et moi, à poser un décor sur les chocolats (par exemple quelques grains de sésame sur le chocolat Cacahuète Sésame)(opération très délicate à faire très rapidement !)
  • démouler les chocolats et faire le contrôle qualité
  • nettoyer les moules
  • mettre les chocolats en boîte
  • …

Quelles sont les difficultés de cette démarche ?

Faire travailler des personnes en insertion professionnelle demande une attention toute particulière. Nous sommes face à des personnes qui ont généralement vécu des périodes particulièrement difficiles, que nous n’imaginons même pas. Les notions de fiabilité, de persévérance sont souvent à (ré)apprendre. Il y a parfois aussi la barrière de la langue …

Le dispositif Premières Heures ne durant qu’un an, chaque année (voire plusieurs fois dans l’année) je dois “former” une nouvelle équipe : depuis 3 ans, j’ai fait travailler Rumilla, Cristina, Medhi, Philippe, Elisabeta, Evdokya, David, Lionel, Marilena, Aneta, Hervé, Sophie, Robert, Agnieszka … Certains n’ont pas tenu le coup et ont arrêté le travail à la chocolaterie après quelques séances.  D’autres ont adoré dès la première séance et ne m’ont jamais fait faux bond. En passant par ceux qui ont dû s’accrocher, se sont découragés, ont persévéré … et ont travaillé avec moi jusqu’à la fin de leur contrat DPH, avant de rejoindre un chantier d’insertion.

Heureusement, l’équipe d’encadrement de la Conciergerie Solidaire fait tout pour que ces conditions aient un minimum d’impact sur ma productivité ! A chaque nouvel arrivant(e), celui (ou celle)-ci est accompagné(e) par une personne de l’équipe, qui va l’aider dans son travail jusqu’à ce qu’il (elle) soit totalement autonome – suffisamment rapide. Au moindre passage difficile, ou en cas d’absence, les accompagnant(e)s viennent compenser les défaillances des personnes en insertion.

Nous travaillons main dans la main avec l’équipe de la Conciergerie Solidaire depuis plus de 3 ans maintenant. Tous connaissent très bien mon travail, mes contraintes et les tâches à effectuer !

Pourquoi j’adore faire travailler du personnel en insertion professionnelle

Moi qui pensais être quelqu’un de tolérant, j’ai appris à l’être encore plus !

Généralement je ne connais pas le parcours des personnes qui travaillent pour moi ; certains me racontent, d’autres non. Mais ils / elles ont tou(te)s vécu des choses traumatisantes : la vie dans la rue, des mères séparées de leurs enfants, des problèmes psychologiques, une addiction, un immense isolement …

La première séance à la chocolaterie est toujours extrêmement stressante pour eux car ils n’ont généralement aucune confiance en eux ! Ils arrivent complètement crispés, très fermés, parfois ils tremblent même !

J’ai dû apprendre à tenir compte de cet état de stress et à faire preuve de patience. A réexpliquer. Féliciter. Rectifier sans brusquer. Féliciter. Ne pas m’énerver. Féliciter. Faire preuve de fermeté. Ne rien lâcher. Fé-li-ci-ter …

Au fil des séances, lorsque la personne commence à être autonome, la confiance s’installe, la confiance en soi revient, l’implication est de plus en plus grande …

Mes plus grands bonheurs ? Apprendre que Cristina a décroché le job de ses rêves chez Emmaüs Défi, ou que Philippe a retrouvé un travail … en contrat classique ! Voir Marilena s’accrocher et refuser des arrêts maladie pour tenir ses engagements auprès de moi alors qu’elle a très mal aux genoux. Voir Aneta danser de joie en apprenant qu’elle va poursuivre en chantier d’insertion. Elle et son mari viennent de s’installer à deux dans un logement social, ils retrouvent une vie “normale” ! Décrocher un sourire à Robert …

Après les Grands Voisins, lorsque je devrai trouver un autre local, je ne serai plus sur le même site que la Conciergerie Solidaire. Je ne sais pas encore comment on va pouvoir s’organiser, mais une chose est sûre : je vais faire tout mon possible pour pouvoir continuer à faire travailler du personnel en insertion professionnelle !

 

Carine, votre chocolatière